L’art-thérapie et re-création de soi

pinceaux peinture artistique

Il  arrive des fois que les mots ne suffisent plus pour entrer en contact avec ses émotions profondes, ses sentiments refoulés. L’art-thérapie propose un autre langage.

L’art-thérapie a été inventé en 1945, aux États-Unis,  par Adrian Hill, artiste reconnu. C’est un peintre qui en a parlé le premier, il a inventé le mot art-thérapie. En 1938 il est atteint de la tuberculose. Au sanatorium où il est soigné, Il est alité et passe son temps à dessiner et peindre tous les objets, qu’il trouve autour de lui. Il prend conscience que sa pratique artistique l’aide à guérir. En quittant le sanatorium il ouvre des ateliers d’art-thérapie.

En Angleterre et aux États-Unis le mot art-thérapie signifie arts plastiques. La pratique des « Arts-Thérapists » n’est pas le fait de soignants très diplômés. Au contraire, il faut être artiste et pas seulement amateur d’art. Il faut avoir une pratique artistique régulière. Avoir une capacité de création pour pouvoir proposer des dispositifs de créations multiples et adaptés à chaque personne.

Quel est le principe de l’art-thérapie ?

Dans une thérapie classique, on parle. On utilise des mots qui vont dire son état, sa souffrance, son passé, son histoire. C’est parfois très difficile, cela soulage le plus souvent, mais est-ce que cela dure ? La parole a certes un effet de catharsis, mais pas de refondation.

En art-thérapie, nous proposons à ceux qui souhaitent entreprendre un travail personnel, de s’aider non pas du langage verbal, mais d’un langage issu du faire, de la création, leur création. Nous les aidons à exprimer autre chose et à le redonner sous forme tactile, visuelle, plastique.

L’art-thérapie offre au patient l’occasion de faire émerger ce qui est à l’intérieur de lui, qu’il ne connaît pas forcément et qu’il ne reconnaîtra pas forcément dans son travail. Il entre en contact avec ses émotions les plus enfouies, des sentiments le plus souvent refoulés.

L’art-thérapie accède au corps par un va et vient continu entre extérieur et intérieur, dans le jeu et les surprises de création.

Le cheminement thérapeutique réalisé dans un processus de création en art thérapie commence par des exercices de conscience corporelle et de la relaxation. Les respirations conscientes sont issues du Yoga et les mouvements et postures sont dérivés du Qi Gong et du Taï Chi. Ces étapes peuvent être suivies de rêves éveillés guidés, de visualisations intérieures ou de promenades contemplatives silencieuses dans la nature.

Les sensations internes apportées, projettent des brides de pluriels de soi dans les images réelles produites. Elles éveillent de nouvelles sensations qui vont mettre en mouvement la mémoire émotionnelle et déclencher son imaginaire issu de cette matière.

stage art thérapie dans la nature
Stage art thérapie dans la nature

La relaxation permet une mise en état alpha, état de conscience modifiée ou hypnose pour l’écoute des rêves éveillés. Ce temps de description des paysages provoque une mise en mouvement intérieur. Les sens sont ouverts par la suggestion de présence d’odeurs, de couleurs, de formes, de textures, de températures, de matières, de sons….sans induction. La personne doit puiser dans sa mémoire sensorielle pour trouver les sensations de son paysage à elle et mettre en mouvement son histoire, ses souvenirs et son imaginaire.

Ce concept Inécatien s’appelle « déclencheurs d’implication personnelle ». En permettant aux personnes de se mettre en liens avec la nature et le vivant, ils vont aussi rencontrer la symbolique des éléments de la nature. « La symbolique des éléments de la nature résonne dans l’inconscient collectif.

Si la conscience, de même que l’inconscient personnel se construit au fil d’une vie, la psyché collective, elle, est héritée. Si on s’imagine un arbre, ça va être un support de symbolisation, et à travers l’arbre choisi, développer, via cette métaphore, une plus grande conscience, voir une transformation de la perception que l’on a de soi. »Antoine Fratini, psycho-animiste italien.

La contemplation de la nature mène l’esprit et le corps à s’ouvrir aux éléments, aux matières dans une perspective d’être au monde. Le corps et l’esprit s’unissent, l’intérieur et l’extérieur aussi. Lorsqu’elle est dirigée sur la perception de ses éléments, de ses intensités de lumière et d’ombre, de la densité, de la texture des objets, des saveurs et parfums, c’est une façon de dépasser le mental. Lorsque l’ego a été oublié, lorsque la pensée s’est tue, dans le réveil du cœur et l’extension de la sensibilité, l’instant est pure extase.

Les 1ère étapes de ce travail consistent donc à remettre le patient en mouvement, à montrer les voies possibles devant une toile blanche, une motte de terre, une feuille blanche…

Une fois le processus enclenché, il s’agit ensuite de donner forme et d’approcher au plus près les problématiques inconscientes du patient.

On peut proposer des matériaux de création plastique variables comme la peinture acrylique, les pastels, l’encre, le stylo, le fusain, la sanguine, les craies, la gouache, le papier journal, papier de soie…

L’art-thérapeute peut aussi mettre à disposition des matières brutes naturelles comme la terre (argile), le sable, des feuillages, de l’encre, des branchages.

Le travail de création plastique se fait avec les mains pour préserver les sensations corporelles qui vont faire résonance avec les souvenirs sensoriels de la personne.

Un temps de contemplation de la production apportera une vision perceptive qui va remettre en marche l’imaginaire de la personne vers d’autres formes ou d’autres matières.

Ce lien à soi dans le travail corporel puis à soi et la matière pendant le temps de création et puis de soi à sa production, feront émerger les problématiques inconscientes de la personne. La personne va partir de cette matière intérieure pour créer et se re-créer en faisant transformation de ses problématiques, en leurs donnant une autre forme.  Cette re-création de Soi libère la personne des maladies chroniques et de ses symptômes.

« Le symptôme serait une création qui s’est enkysté dans une répétition qui amène dans une dimension douloureuse. » Jean-Pierre Klein, psychiatre honoraire.

Ce travail subtil qui prend les vulnérabilités comme matériau, recherche moins à dévoiler les significations inconscientes des productions qu’à permettre au sujet de se recréer lui-même, se créer de nouveau, dans un processus symbolique de création en création.

Quel est le rôle de l’art-thérapeute ?

Son rôle est à la fois indispensable et discret. Il est là pour encourager le patient à laisser parler sa créativité. On ne lui demande pas de reproduire ce qu’il connaît, on ne lui propose aucun modèle à sculpter, peindre ou imiter. Les images, les formes, les couleurs, les sons, les mouvements viendront de son intériorité.

Ceux sont les temps de préparations corporels mis en place par l’art-thérapeute qui les font émerger.

L’art-thérapeute doit avoir un grand niveau de présence à lui-même, au patient, à l’espace. La capacité d’attention et d’intuition à la création du patient dépend aussi du niveau d’écoute de l’art-thérapeute.

L’art-thérapeute est donc là pour l’accompagner progressivement, et l’empêcher d’aller tout de suite là où ça fait mal.

On contourne, on emprunte des chemins détournés. La fiction de monde poétique sentis puis créer, de personnage fiction font détour tout en parlant métaphoriquement de soi et de ses pluriels. Pas question que la personne soit effrayée par sa propre production car dans ce cas, elle stoppera net son travail.

Le but de l’art-thérapie n’est pas de vouloir savoir (ce qui s’est passé, car cela, les patients le savent généralement), mais de savoir l’exprimer et de s’en servir de matière pour leur création.

Notre principe n’est donc pas de les attaquer de front mais de les atteindre par d’autres voies, moins directes mais tout aussi efficaces.

L’art-thérapeute n’est pas là pour traduire ce que crée le patient, pour y trouver à chaque fois une symbolique. Rouge ne veut pas dire forcément agressif, un trait vertical n’est pas forcément phallique. Il n’y a pas d’interprétation d’œuvre, mais un travail sur la création et son évolution.

Peinture artistique

A qui s’adresse l’art-thérapie ?

L’art-thérapie s’adresse à toutes les personnes en difficulté (psychologiques, physique, sociale ou existentielle). A tous ceux qui souhaitent accéder à une meilleure connaissance d’eux-mêmes, et qui ont du mal avec la parole et les mots.

L’art-thérapie s’avère merveilleusement adaptée pour les enfants, notamment, qui ont souvent du mal à exprimer ce qui est au plus profond d’eux-mêmes. Depuis le début de la psychiatrie et de la psychanalyse, dans l’absence de langage, les pédopsychiatres utilisent le graphisme, le dessin, le jeu pour soigner les enfants.

Dans les EHPAD l’art-thérapie est particulièrement adaptée. L’approche sensorielle, corporelle de l’art-thérapie permet de remettre en mouvement la notion de temps pour les personnes Alzheimer.

Si le cerveau cognitif, gauche est atteint par contre le cerveau droit, sensible garde en partie ses facultés. En proposant des ateliers de stimulations sensorielles les personnes reprennent conscience du temps présent.

Condillac, philosophe du mouvement sensualiste au 18ème siècle dit que : « Chaque ressenti apporte une pensée, je touche un objet chaud, je pense c’est chaud, je créé la pensée « c’est chaud » ».

sculpture argile

En s’appuyant sur ces mémoires préservées on lui permet de trouver en elle, cette‬ envie  de créer et pendant un temps, devenir maître de ses choix, de ses désirs au travers de ses décisions artistiques. ‬Ces temps d’atelier offre à la personne l’occasion de refaire son monde et donner une autre chance à sa mémoire.

L’art thérapie visera ainsi à restaurer la personne dans sa dignité, à passer d’un état « d’objet de sa souffrance », à celui de « sujet de soi », afin de  préserver le plus longtemps possible chez elle, un sentiment d’identité malgré une forte, voire une totale dépendance à son entourage.

En service d’addictologie, l’art-thérapeute peut constater que l’état d’inhibition du corps des personnes en addiction ne permet pas d’être en contact direct dans la matière pour l’éveil de leurs sens. Leur perception ayant été aussi modifié par les drogues, l’alcool, les psychotropes en général et leurs troubles psychiques.

Il introduit les ateliers par des visualisations intérieures, des vibrations sonores et des rêves éveillés guidés dans le sensualisme. Ces approches corporelles permettent aux résidents d’aborder les étapes de création dans un état d’accueil et de possibilité à être sans retenue, ni peur. Les personnes en addiction ont un mental très puissant et un corps particulièrement fermé. En passant par les images mentales, produites dans la rêverie guidée, elles abandonnent leur résistance et accèdent à leurs ressentis.

Ces images sont accompagnées de senteurs, de textures, de température, de couleurs, de sons, elles peuvent réveiller leur mémoire sensorielle sans résistance. Dans l’étape de création plastique, cette  imaginaire dynamique va les guider dans leurs choix de matériaux, de formes et dans leurs gestes.

La résonnance des couleurs met en lien l’esprit et le corps au même niveau que la musique. La couleur et l’encre noire permettent aux sens visuel et auditif de s’ouvrir pour accéder à l’inconscient. Les vibrations sonores sont aussi une porte d’accès au corps facile et direct. On a pu observer que les vibrations sonores pouvaient calmer l’état de manque. La fonction de décharge des vibrations sonores procure un soulagement et offre une possibilité au senti.

« Les compulsions addictives obéissent souvent à un processus qui tente de maintenir un sentiment d’existence malgré un attrait pour une dispersion psychique pouvant entrainer des effets de démantèlement sensoriel.

La dissociation du ‘sentir et se mouvoir ‘ engendre l’angoisse que seule l’implication rythmique du soi peut apaiser en transformant la béance en patence.  Bernard Rigaud, directeur de l’Association Drogue et jeunesse (Adaje). Son centre de soins utilise la philosophie (et l’art) comme moyen de lutte contre l’addiction.

L’art-thérapie s’adresse aussi aux personnes en difficultés sociales. Les art-thérapeutes interviennent dans les prisons, dans les foyers d’accueils sociaux. Les dispositifs qu’ils proposent ont pour thème, l’Ancrage, l’Identité, la Reliance, les pluriels de Soi…etc. Le cheminement de création en création apporte une transformation par re-création de soi.

Cette capacité à créer amène les personnes en souffrance sociale et existentielle à être plus créatrices de leur vie. Elles trouvent une ressource de création intérieure valorisante rétablissant une confiance en soi. En situation d’internement, cette nouvelle co-naissance de soi leur permettra d’aller vers ce qui est plus juste pour elles.

Les personnes quitteront les conditionnements et les systèmes d’auto-défenses de l’enfance qui les ont marginalisés.

Dans le cadre du développement personnel le jeu de création dans le sensoriel  rapproche la personne de son être intérieur pour une meilleure co-naissance de soi et être plus juste dans ses choix de vie.

Tous ceux qui pensent ne rien savoir faire, qu’ils se rassurent.

Entre la peinture, la sculpture, la danse, le théâtre, le dessin, les tissus, la création de masques, la musique, les contes… ils trouveront toujours un ou plusieurs moyens de s’exprimer, parfois avec talent, toujours avec sincérité.

Par Dominique LANGLOIS –